
Médias français et Palestine : l’invisibilisation programmée, quand l’info devient complice
Depuis octobre 2023, Gaza vit un cauchemar : 53 000 morts, 120 000 blessés, un enfant tué ou mutilé toutes les 20 minutes. Pourtant, pendant des mois, les grands médias français ont pratiqué l’art du silence ou de la minimisation. Pourquoi ? Johann Soufi, avocat en droit international pénal et ancien directeur du bureau juridique de l’UNRWA à Gaza, nous éclaire sur ce naufrage médiatique.
L’évolution tardive (et incomplète) du traitement médiatique
Selon Soufi, le récent “regain d’intérêt” pour Gaza ne relève pas d’une soudaine prise de conscience, mais d’un effet de saturation face à l’horreur accumulée. Les déclarations de plus en plus assumées de responsables israéliens – comme le ministre de la Défense Israël Katz évoquant la “destruction totale” de Gaza – ont rendu le silence intenable. La pression de la société civile (manifestations, actions juridiques, boycott) a aussi forcé les rédactions à bouger.
Mais attention : cette couverture reste fragmentée et hypocrite. Les Palestiniens sont rarement invités à s’exprimer. On préfère les évoquer comme des statistiques, sans visages ni noms. Le reportage rare du *20h de France 2* du 7 mai 2025, montrant des familles gazaouies déchirées, est salué… mais il arrive avec 19 mois de retard. Pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ? “Aucune justification”, tranche Soufi.
Le piège du “faux équilibre”
Quand un reportage poignant sur Gaza est suivi d’une interview non contrariée de l’ambassadeur israélien, le message est clair : on place la propagande au même niveau que le témoignage. Cette logique du “faux équilibre” transforme tout en débat d’opinions, même les faits établis par l’ONU ou la Cour internationale de Justice (CIJ).
“On ne peut pas mettre sur le même plan des observateurs indépendants et des parties à un conflit armé”, rappelle Soufi. Pourtant, c’est ce que font TF1, BFM ou LCI, brouillant les repères et légitimant l’inacceptable.
Génocide : le mot qui dérange
Le traitement du terme “génocide” illustre parfaitement le problème. Plutôt que d’en discuter sérieusement (comme un concept juridique), des éditorialistes comme Caroline Fourest ou Jean Quatremer l’ont disqualifié d’emblée, sans expertise. Pire : Quatremer a osé des comparaisons historiques indécentes entre Gaza et la Shoah.
Soufi rappelle que la qualification de génocide exige des preuves d’intention – ce que la CPI ou la CIJ examineront dans les années à venir. Mais en attendant, la CIJ a déjà reconnu un “risque plausible de génocide” à Gaza. Un fait ignoré par la majorité des médias. 😡
L’apartheid médiatique
En Cisjordanie, les crimes israéliens passent sous les radars. Les médias parlent d’un “autre front”, comme s’il s’agissait d’une guerre distincte. Or, souligne Soufi, c’est le même système colonial qui opprime les Palestiniens de Gaza à Jénine :
- À Gaza : bombardements, blocus, famine.
- En Cisjordanie : colons violents, arrestations arbitraires, apartheid juridique.
Le terme “apartheid” ? Proscrit dans les médias français. Pourtant, il est validé par des ONG (Amnesty, HRW) et la CIJ.
Journalistes palestiniens : des cibles, pas des sources
Plus de 100 journalistes palestiniens tués depuis octobre 2023. Pendant ce temps, des figures médiatiques françaises comme Géraldine Woessner (Le Point) affirment qu’“il n’y a pas de journalistes palestiniens”. Une négation violente, qui participe à leur déshumanisation.
Que faire ? L’espoir vient des juristes
Face à ce désastre, Johann Soufi a cofondé JURDI (Juristes pour le Respect du Droit International). Cette association :
- Alimente les médias en expertise juridique crédible.
- Poursuit en justice des responsables de crimes (y compris des Français impliqués).
- Dénonce l’inaction de la France (comme le survol du territoire par Netanyahou malgré son mandat d’arrêt de la CPI).
“La justice internationale fournit une boussole. Même lente, elle dit le droit. Et le droit, c’est la seule arme des sans-voix.”
Conclusion : Briser l’omerta
Le traitement médiatique du conflit israélo-palestinien révèle une faillite déontologique sans précédent. Entre paresse intellectuelle, biais colonial et peur des polémiques, les rédactions ont préféré l’équilibre factice à la vérité.
Pourtant, des solutions existent :
- Inviter des Palestiniens, pas seulement des “experts” parisiens.
- Arrêter le “faux équilibre” : un criminel présumé n’a pas droit à une tribune sans contradiction.
- Nommer les crimes : apartheid, nettoyage ethnique, génocide.
Comme le rappelle Soufi : “À Gaza, c’est l’avenir de notre humanité commune qui se joue.” ✊
Lien de l’entretien sur Acrimed